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La mise en garde des tribunaux de Commerce

La mise en garde des tribunaux de commerce
 
 
Malgré une récession record depuis la Deuxième Guerre mondiale, la France n’avait jamais enregistré aussi peu de défaillances d’entreprises que l’an dernier. S’expliquant principalement par la mise sous perfusion de l’économie par l’Etat, cette situation inquiète particulièrement les
présidents de tribunaux de commerce, d’autant que leurs actions de sensibilisation et de prévention à destination des sociétés fragilisées restent, pour l’essentiel, lettre morte.
En ce début d’après-midi du 14 décembre 2020, le parking du tribunal de commerce de Lille est quasiment désert. Une situation inhabituelle pour un lundi, jour au cours duquel les ouvertures de procédures collectives sont traditionnellement examinées par cette instance, l’une des principales de France. Pour apercevoir les rares véhicules stationnés, il faut contourner le
bâtiment principal et se diriger vers la deuxième entrée de l’édifice, dédiée à la « Présidence » et à la « Prévention ». C’est dans cette aile qu’officie l’essentiel de son temps Eric Feldmann, président du tribunal. Assis derrière son bureau orné d’une large protection en plexiglas, le juge dresse un bilan pour le moins singulier de son année 2020. « Nous vivons en ce moment la plus grave crise économique jamais vécue depuis la Deuxième  Guerre mondiale. Or, je n’avais jamais observé, depuis huit ans que je suis à la tête du tribunal de commerce de Lille, une baisse aussi drastique du nombre de dossiers à traiter ! Alors que nous instruisons généralement environ 25 procédures de redressement judiciaire et/ou de liquidation judiciaire chaque lundi, ce total est tombé durant certaines semaines de l’année dernière à 6, aboutissant ainsi à une chute de près de 40 % des procédures collectives ouvertes entre mars et décembre. »
Une audience nécessaire pour le versement des salaires
 
De Lille à Toulouse, en passant par Nantes, Paris, Lyon ou encore Strasbourg, le constat est similaire. Comme l’a révélé le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce dans la 3e édition de son bilan annuel parue fin janvier, 27 645 ouvertures de procédures ont été enregistrées (hors Moselle et Alsace) l’an dernier, soit une diminution de 37,5 % par rapport à 2019. De son côté, la Banque de France n’a recensé « que » 30 969 cas de cessations de paiements en 2020, un niveau en recul
de 39,5 % sur un an. En comparaison, elles avaient avoisiné un pic annuel de 65 000 lors de la crise financière de 2008… Analysées rétrospectivement, ces statistiques ne sont guère surprenantes aux yeux des praticiens. Sous l’effet de la politique du « quoi qu’il en coûte » mise en oeuvre par l’Etat (prise en charge intégrale du chômage partiel, report de charges sociales et fiscales, PGE, fonds de solidarité, etc.), de nombreuses entreprises qui auraient normalement dû disparaître ont pu faire face à
leurs échéances.
Pourtant, lorsque l’arrivée de la pandémie de Covid-19 en Europe a contraint le gouvernement français à confiner le pays une première fois en mars dernier, les responsables des tribunaux de commerce redoutaient le pire. « Avec l’arrêt partiel, voire total, de l’activité de nombreuses entreprises, nous nous attendions à une envolée du nombre de défauts de paiement, se remémore par exemple Laurent Granel, président du tribunal de commerce de Toulouse. Cette crainte était d’autant plus exacerbée que beaucoup d’entre elles affichaient déjà un niveau d’endettement significatif. » Alors même que plusieurs administrations et juridictions fermaient du jour au lendemain leurs portes au public, les tribunaux de commerce n’ont, quant à eux, jamais baissé le rideau. « Il aurait été inconcevable que la justice économique s’arrête au moment même où les chefs d’entreprise s’apprêtaient à entrer dans une période extrêmement difficile, insiste Paul-Louis Netter, président du tribunal de commerce de
Paris. Une telle décision aurait été également inimaginable vis-à-vis des employés dont l’employeur était dans l’incapacité de régler les salaires dans la mesure où, pour déclencher le paiement de ceux-ci par le biais du régime de garantie des salaires (AGS), un jugement du tribunal de commerce est nécessaire. »
 
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